
EDIT : Je tiens à dire que toute ressemblance avec un autre chapitre du concours est tout à fait fortuite dans la mesure où je n'avais pas lu le chapitre en question. Or, les premiers paragraphes parlent un peu des mêmes choses

Parait-il que le chant d’une foule vous embarque et vous fait vibrer à chaque sonorité. Parait-il aussi qu’il existe des premières fois que vous n’oublierez jamais. Parait-il enfin que de vivre de sa passion et pouvoir la partager permet de transcender les gens qui reçoivent le message envoyé.
Tout cela, c’était du flan pour moi. Je n’ai jamais été un habitué des grandes foules, et autant vous dire de suite qu’accompagner mon père à ses matchs favoris n’était pas mon activité préférée. Nop, le foot, ce n’était pas fait pour moi. A dix-sept ans, je préférais jouer de la guitare et chanter jusqu’à n’en plus pouvoir plutôt que regarder ces abrutis taper dans un ballon et courir sans but précis. Mis à part leurs salaires, parce qu’il faut bien l’avouer, ces enflures gagnent plutôt bien leur vie ! Et quelque part, je leur en ai toujours voulu de vider chaque mois ces quelques centaines d’euros du maigre salaire de mes parents. Nous n’étions pas dans la misère mais nous n’étions pas aisés et cela pouvait se ressentir sur nos économies, et sur la tension qui habitait la maison.
Maman était toujours sur les nerfs, attendant le prochain geste de mon père envers elle. Lui ne pensait qu’au foot et je ne pouvais que les observer, se défiant du regard à qui se plierait le premier à la volonté de l’autre. Ah, vous pouvez vous imaginer un combat de loup si vous pensez que ça en vaut la chandelle. Hélas, le combat se finissait généralement rapidement. C’était ce moment que je choisissais généralement pour me planquer dans ma chambre et faire vibrer ma bulle de paroles et de musique. Oh, je n’étais pas un grand guitariste, ni un grand chanteur, et je n’avais pas l’ambition de percer dans le métier. Nop, j’avais simplement un besoin naturel de m’évader dans ma bulle de confort, comme tout homme aime le faire. Ce qui n’était pas le cas de mon faible paternel.
Ma sœur, Hélène, nom de vieille, une quinzaine d’années, venait souvent m’entendre jouer et par moment chantait par-dessus ma voix. Elle, c’était quelque chose. Le timbre résonnait à travers les murs, donnant l’impression d’entendre encore et encore ce chant si mélodieux qui s’échappait de sa bouche. Je vous avouerai volontiers que j’ai longtemps été jaloux de cette voix, jusqu’à ce que je comprenne que tout le monde nait avec ses qualités, ses défauts et ses prédispositions naturelles. C’est la loi de la jungle, dirait Mowgli.
Du moins, c’était ce que je pensais jusqu’à ce fameux jour.
Je venais de rentrer des cours. Dix-sept heures, le collège terminé, j’entrais dans notre jardin quand j’ai aperçu la voiture de mon père garée dans l’allée. C’était plutôt inhabituel, lui qui travaillait jusqu’à tard le soir pour pouvoir se payer ses billets de match. Encore quelque chose dont je le tenais pour responsable. Une des raisons pour lesquelles je défilais dans le salon sans même essayer de croiser son regard.
-Fiston, dit-il soudainement, alors que je m’apprêtais à monter les escaliers, la main déjà sur la rampe.
Je me suis alors retourné, sans l’envie de sourire ni de lui dire bonjour. Mon père était assis sur une chaise, dos à moi, la tête dans les mains. Je ne l’avais jamais vraiment vu comme ça.
-Quoi ? lui ai-je répondu, immobile.
-J’ai une faveur à te demander. Et j’aimerais que tu me dises oui, m’expliqua-t-il, sans sortir de son petit trou. Encore sa manière de ne pas assumer, pensais-je.
-Ah oui ? Une faveur ? Comment ça, une faveur ? Comme celles que tu demandes à maman lorsqu’elle te demande d’épargner des sous pour notre bien à tous ? commençais à crier, assez irrité de le voir m’arrêter dans mon envie de me terrer dans ma grotte.
C’est alors que je vis ses épaules s’affaisser, qu’un long et profond soupir s’échappa de sa bouche et que tout son corps commença à trembler. Une fois de plus, je continuais d’être désarçonné. Cet homme était à la fois mon père, sans l’être. Certes, je l’ai toujours considéré comme un faible, jamais capable de faire attention aux êtres autour de lui, et n’assumant pas ses actions, mais je ne l’ai jamais pris pour un pleureur. A vrai dire, c’était plutôt le contraire, il était souvent d’un naturel joyeux, ce qui avait le don de m’énerver encore plus. Maman avait du raquer six mois pour m’acheter ma guitare. Et encore, parce que j’avais demandé quelques sous à Papi et Mamie.
Au bout de quelques minutes de silence, je ne savais pas vraiment quoi faire. C’est vrai, quand votre daron s’écroule, vous ne vous dites pas qu’il y a un truc qui cloche ? Bah moi si. Et le truc chiant dans la vie, c’est que vos parents sont comme ils sont et que vous ne pouvez pas les changer. On ne choisit pas sa famille comme on dit et je n’ai pas choisi la mienne. Et malgré tous les défauts que je pouvais trouver à mon père et mon amertume envers sa façon de nous éduquer et de nous mettre au second plan, j’étais malgré tout heureux lorsque nous partions en vacances et qu’on arrivait à passer de vrais moments en famille. C’étaient les rares bons moments qu’il me restait de lui, et même dans les moments les plus durs, du moins ceux que j’estimais les plus durs, mon père prenait malgré tout sur lui la pression et tentait de nous protéger de ce monde vicieux et retord. A vrai dire, ce n’est que des années plus tard que j’ai compris comment fonctionnait mon père, lorsque ma fiancée m’a plaqué à quelques semaines de notre mariage, me reprochant de ne pas lui donner assez d’attention et de toujours être dans mes manies de musicien. Et oui, une passion reste une passion.
Revenons-en donc à nos moutons. Mon père pleurait devant moi, pour la première fois de ma vie. Je n’étais pas spécialement enclin à la discussion ce jour là , ni prêt à lui accorder quelque faveur que ce soit.
-Papa, qu’est-ce qu’il y a ? lui ai-je demandé, calmement.
Il choisit ce moment pour s’agiter un peu sur sa chaise, relever la tête, tendre les jambes et s’affaler sur le dossier, une bière ouverte posée sur la table au creux de sa main.
-Je n’ai plus de boulot, me dit-il alors, tout simplement. J’ai été licencié aujourd’hui, et je n’ai…
-Papa, je m’en fiche de tout ça, le coupais-je froidement, déterminé à ne pas être touché par quelque chose qui ne me concernait pas. C’est ton problème, pas le mien.
Une fois encore, un ange passa dans la pièce. Même les mouches décidèrent de se taire, ce jour-là .
Au bout de minutes qui paraissaient des heures, et alors que je m’apprêtais à mettre fin à ce drôle d’échange, mon père m’appela :
-Sais-tu d’où vient ton prénom, Michel ?
Bordel… Tu peux me lâcher la grappe avec tes échanges sentimentaux à la con ? pensais-je.
-Non, papa, mais j’ai l’impression que je le saurais dans quelques secondes, rétorquais-je d’un ton sarcastique.
Mon père ne tiquait pas.
-Platini. Je suppose que tu en as déjà entendu parler.
-Encore du foot… soupirais-je. Non, je ne le connais pas. Enfin, j’ai déjà entendu le nom. Quel est le rapport ?
-Accompagne-moi demain, au match de l’Equipe de France, à Lyon.
J’étais sur le point d’exploser, et de monter les marches à la vitesse éclair lorsqu’il enchaina :
-S’il te plait. Juste celui-là . Je me fiche que tu aimes ou non, je veux juste te montrer ma vie. Mon plus grand regret également. Et t’aider à comprendre.
-Comprendre quoi, Papa ? dis-je en serrant les dents de colère. Que tu n’es jamais là quand il faut ? Que tu vis dans ta bulle sans donner l’impression de te soucier de nous ? C’est ça que tu veux que je comprenne ? Ma tête bouillonnait, me donnant l’impression d’une explosion sans fin qui martelait les bords de mon crâne.
-En quelque sorte, oui. Je ne m’attends pas à ce que tu comprennes, juste que tu viennes avec moi. S’il te plait.
Encore ce mot. Deux fois. Ce mot qui m’énervait à souhait, cet enchainement qui permettait avec la politesse de demander quelque chose à quelqu’un, et de se sentir obligé de dire oui, simplement parce que la personne l’avait demandé avec respect. Du moins, c’était ce que ma mère m’avait inculqué.
-Je n’ai aucune obligation envers toi, lui dis-je alors en le pointant du doigt.
-Je sais, me répondit-il, plus calmement que lorsque j’étais rentré à la maison.
-Je n’ai aucun compte à te rendre non plus, ajoutais-je, bien décider à lui faire comprendre mon ressentiment envers lui.
-Je sais, me répéta-t-il, continuant de m’agacer.
Je pris le temps de réfléchir quelques minutes à cette demande, et en vins à la conclusion suivante :
-A une condition.
-Ce que tu veux, enchaina-t-il, sans sourciller.
-Ce match sera le dernier, lui dis-je froidement. Je ne te dois rien, mais tu nous dois au moins ça. Tu me dois au moins ça. A combien de mes concerts as-tu assisté ?
Il ne répondit pas, honteux. Je le laissai alors à ses pensées, et finis par faire ce que j’avais prévu de faire depuis le début : m’enfermer dans ma bulle, ma guitare et moi.
Ce fut avec une certaine appréhension que le trajet se déroula jusqu’au stade. Vingt minutes, cela peut paraitre des années quand vous n’avez rien à vous dire. Et je n’avais rien à dire à mon père. Simplement me taire, et le laisser gamberger. Je ne faisais pas cela pour lui, je le faisais pour ma mère, ma sœur. Et pour moi, aussi. Il a bien essayé à quelques reprises d’engager la conversation, mais j’étais bien décidé à ne pas céder et à lui faire comprendre que je n’en avais rien à foutre de son sport de merde.
Une fois garés, le chemin jusqu’au stade fut encore plus long. Je n’avais jamais été dans un stade, même pour un concert de musique, même si l’envie y était. Et je trouvais ces structures de béton assez impressionnantes. Comment autant de personnes pouvaient-tenir dans une même enceinte et s’extasier autant devant ces acrobates du ballon rond ? Cela me dépassait, de la même manière que je ne pouvais pas comprendre comment les romains assistaient sans mot dire aux exécutions publiques dans leurs arènes.
Le temps de ruminer ces quelques pensées, nous étions arrivés assez rapidement devant l’enceinte, empruntant les marches pas à pas jusqu’au fameux couloir. Celui qui vous dirige vers la lumière. Celui qui vous dirige vers cette couleur verte, chatoyante, tellement entretenue qu’on aurait dit un billard géant. Celui qui vous fait entrer dans l’ambiance, qui répercute le chant des supporters déjà installés dans le stade, encourageant les joueurs sur le terrain.
J’avais avancé de quelques pas, insensible à toutes ces nuisances, lorsque je m’aperçus que mon père ne m’avait pas suivi.
-Papa, tu fais quoi là ? m’agaçais-je. Il n’allait tout de même pas me faire le coup du « on rentre, j’ai changé d’avis ? ». Tu m’as fait une promesse, ajoutais-je, bien décidé à lui faire comprendre ce que j’attendais de lui.
Des personnes nous dépassaient, allaient s’installer à leurs places. Les familles riaient aux éclats, les supporters agitaient leurs écharpes, prêts à montrer leur soutien à leur équipe, les enfants s’amusaient, mais moi… Moi… Et bien, moi, j’étais simplement bloqué par ces quelques mots qui ont le don de transformer une vie. Dans le fond, c’étaient juste des mots, et je n’en avais rien à foutre de mon père. C’est vrai, il le méritait, quelque part, et je lui en ai voulu, pendant des années… Sauf que cette fois-ci, je ne pouvais pas rester insensible. C’est impossible quand votre père vous annonce qu’il est en phase terminale de cancer. Qu’il n’a pas été licencié, mais qu’il a démissionné pour vivre les derniers instants de sa vie avec sa famille.
Parait-il que le chant d’une foule vous embarque et vous fait vibrer à chaque sonorité. Parait-il aussi qu’il existe des premières fois que vous n’oublierez jamais. Parait-il enfin que de vivre de sa passion et pouvoir la partager permet de transcender les gens qui reçoivent le message envoyé.
Pour ma part, depuis la mort de mon père, je me contente simplement de chanter cet hymne à tue-tête, le plus fort possible, afin qu’il entende qu’il est toujours là , quelque part. Et j’ose espérer, à chaque son que j’expulse avec ma voix, que quelqu’un, là -bas, au loin, dans le stade, éprouve ce même sentiment que j’ai chaque fois que je chante : l’envie, l’espace d’un instant, de quelques minutes, de n’être qu’un dans cette foule et chanter à la gloire de mon père.