Paris 20ème, le 12 juillet 2006.
Ce jour là , il était presque 15h00 quand la sonnerie de mon téléphone me tira du lit. Tout embrumé, je parvint à saisir mon gsm et à décrocher à temps. Sans le savoir, je venais par ce simple geste de mettre un fameux coup de pied dans l'arrière train de mon destin.
-Allô?
-Allô Robby, c'est moi Carlo. Tu es chez toi là ?
-Euh... oui je...
-Super, j'arrive tout de suite, je serai là dans un quart d'heure. clic...
Et merde...
Carlo, ce vieil enfoiré, héhéhé. J'étais sorti avec sa soeur il y a quelques années, une italienne, pulpeuse et tout et tout. C'est à cette époque que j'avais connu Carlo. Nous étions plus ou moins devenus amis, et malgré que je ne sois plus avec sa frangine, cette amitié avait tout de même perduré. Je n'avais jamais trop su ce qu'il bricolait, à chaque fois que je lui avait demandé, il était resté évasif, prétendant qu'il était dans le business, les affaires et qu'il voyageait pas mal entre son pays natal et ma belle capitale.
S'il était si pressé de passer, c'est qu'il avait surement quelque chose à me demander...
une douche...
Je me rase... non... pas le temps
Juste le temps de sauter dans un jean's que ça tambourinait à ma porte
Carlo n'était jamais en retard. Il était arrivé tout endimanché, un costard flambant neuf, pompes italiennes dernier cri et sourire bright de chez bright affiché sur son minois de rital lover...
-Salut Carlo comment va?
-Ca va super Rob, et toi? Toujours à la recherche d'un emploi?
N'ayant pu détecter si mon ami ironisait ou non j'osais alors un Bah comme tu vois...
J'ai bien vu à ce moment là que ma réponse le satisfaisait.
-Ecoutes Robby, j'ai un service à te demander, un service que tu ne peux pas refuser puisqu'il va te rendre service également...
-Oulaaaa, détends toi Carlo, si je peux t'aider je le ferai mais bon, essaies de me sortir un truc réaliste cette fois. Si c'est encore un vieux plan comme celui de ta soi disant boite de nuit qui n'a jamais vu le jour, et qui a vu mes économies partir en fumée, oublies moi, j'ai plus un radi, trouves toi un autre associé et laisses moi loin de tes combines foireuses.
Carlo prit d'abord un air embêté, puis retrouva instantanément sa verve.
-Hey Rob, je sais que j'ai pas assuré sur ce coup et tous les matins quand je suis devant ma glasse, je me morfonds (inutile de préciser que je n'en croyais pas un mot), mais aujourd'hui je peux me racheter. Mec, je t'ai trouvé un job! Un job de compète!
...je bloque...
-Tu m'as trouvé un job? Toi tu m'a trouvé un job? j'éclate de rire. Mais d'où tu m'as trouvé un job? Je suis pas dans le "business" moi Môssieur Carlo, et là seule fois où je m'y suis essayé, je tiens encore à te remercier pour ça, je me suis retrouvé sur la paille.
-Oui mais là Robby c'est du sûr, et ça paie bien.
-Ca sent l'embrouille ça Carlo, si c'est pour me proposer un truc illégal, pas la peine hein, j'ai déjà eu mon lot d'emmerdes.
-Non non, hop hop hop pas d'inquiétude, c'est tout à fait légal, et en plus c'est total dans tes cordes.
-Aller vas y lâche ta bombe, je sens que ça va me faire rire.
-Coach d'un club professionnel !
...je rebloque... et en effet j'éclate à nouveau de rire...
-Dans mes cordes hein? Mais tu prends quoi au juste pour me sortir des énormités pareilles?
-Beh tu m'a bien dit que tu avais été champion des Yvelines avec les cadets de St Cyr l'Ecole non?
-Des cadets Carlo! C'était des cadets! Et tu me vois? Moi? Coach d'un club pro? J'adore le foot tu le sais bien mais franchement, j'ai pas la prétention de m'occuper d'une équipe de pro. Et tu vas me dire que c'est qui les petits chanceux que je vais chouchouter? Le PSG? L'Olympique Lyonnais?
Je ris encore
-Euh bah non c'est un club italien...
-Et italien en plus? Mais tu te fous de ma gueule Carlo? tu viens t'incruster ici au beau milieu de ma gueule de bois pour me proposer un délire pareil? T'es quand même gonflé, essaie de penser à la façon dont tu vas me rembourser au lieu de prendre des substances qui te font raconter n'importe quoi.
Carlo ne souriait plus...
-C'est une série C
Un peu désappointé, je me demandais du coup si c'était du lard ou du cochon. Un lointain poto avec qui j'avais malgré moi partagé les trophées de la louze venait me proposer un taff, un vrai, pour diriger une équipe de foot... et il avait l'air sérieux...
-Et de quelle équipe s'agit-il?
-Taranto
-Connais pas... Je sais même pas où c'est.
Carlo avait manifestement prévu son coup. Il sorti de sa poche une petite carte de l'Italie et me la tendit.

Wouw, c'était vachement au sud... Dans le talon de la botte... Ca changeait rien au problème, d'une j'avais jamais entendu parlé de cette équipe, et de deux, quelle mouche aurait bien pu piquer les dirigeants du club pour penser à moi, anonyme parmi les anonymes, un diplome d'entraineur en poche, certes, mais avec seul fait d'arme un titre de champion départemental avec une équipe de cadets...
-Et ton équipe là , il se sont réveillés un matin en se disant qu'il leur fallait absolument Roby Robaggio? C'est du n'importe quoi, ou alors tu as vraiment une explication implacable...
-J'ai ça en stock mec. Figures toi que je connais bien Luca Vinciguerra, le Directeur Général du club. Celui-ci m'a donné carte blanche pour trouver un coach au club...
-Mais t'y connais quoi au football au juste? A part rien?
-Attends je t'explique. Le président du Taranto, Luigi Blasi, est un type du genre sulfureux dans le milieu. Les calcios italiens sont encore secoués par les soubresauts des histoires de corruption qui ont méchamment sali l'image du football italien. Blasi veut se démarquer de tout ça. C'est un homme à poigne qui veut que son club reste loin des sales rumeurs, alors il a viré l'entraineur en place et a réclamé un coach étranger, qui n'est pas du coin, un mec propre. Ce qu'il y a c'est qu'il n'accorde pas sa confiance facilement, il est prêt à cette concession mais le nouveau coach sera assurément étroitement encadré par le staff en place. Oui, étroitement encadré...
-Ton président n'a pas besoin n'a pas besoin de coach visiblement, pourquoi tu viens me voir?
-Ce qu'il lui faut, c'est un homme de paille.
-Sympa d'avoir pensé à moi...
-Non tu n'y es pas, il veut un type qui fera le beau sur le banc, qui répondra au interviews quand on lui demande et qui fera son boulot tout tranquillement, sans vague, et avec tout le soutien du staff pour faire ses choix, c'est tout. C'est pour ça que c'est dans tes cordes mec ! Vinciguerra m'a demandé ce service, j'ai pensé à toi pour le lui rendre, tu t'installe sur le banc, tu prends la monnaie le temps que ça dure et tu laisses venir, t'en penses quoi? C'est pas un plan en or que je t'amène sur un plateau?
Carlo ne manquait pas d'air, son histoire était toujours aussi abracadabrante, mais de plus en plus plausible. Il venait de piquer ma curiosité
-Oui Carlo, ok, ok, t'excite pas. Et tu le connais d'où ce vinciguerro ou je sais pas quoi?
-Je suis allé à la Fac avec son fils, je lui rends de menus services de temps en temps, faut dire que je lui suis un peu redevable alors...
-redevable de quoi?
-Oh ça Rob, c'est une vieille histoire, je préfère pas en parler.
-comme tu voudras
-Alors qu'est-ce t'en dis? T'es partant?
-Qu'est-ce que j'en dis? Tu veux savoir ce que j'en dis? Ce que j'en dis c'est que tu es cintré, que ton histoire est tout bonnement hallucinante et que... que... que si ça me tentait je trouverai pas meilleur moyen pour me ridiculiser et quand bien même ça me tenterait que je n'aurais pas les moyens de me payer le billet pour aller jusque là .
C'est alors que Carlo qui avait retrouvé son sourire d'une blancheur insolente sortit de sa poche deux billets d'avions. Punaise, il ne bluffait pas alors?
-Mais Carlo c'est de la folie, je ne cause pas un mot d'italien, c'est complètement débile.
-Je serai ton interprète.
-Mais...
-Alors tu fais ton sac ou quoi?
-Pourquoi? on y va quand?
-On décolle demain à la première heure.
Tout déboussolé par ce coup de massue reçu au saut du lit, je me suis mis, sans trop savoir pourquoi, à faire mon sac. J'avais quand même pris soin de prendre mes nurofen pour calmer cette barre de fer qui martelait fermement mon crâne.
Carlo était ravi. Il entreprit de me décrire l'endroit où nous allions, Tarente, joli petit port de pêche de quelques 200000 âmes. Il m'expliqua un peu comment ça se passait dans les Pouilles au niveau de la vie et des habitudes des autochtones. L'indescriptible ferveur du peuple pour le ballon rond, ses travers, ses excès, ses gloires aussi... Et puis il aborda le chapitre de la Mafia, très présente dans cette partie de l'italie et des liens très étroits qu'elle entretenait avec les politiques et les clubs sportifs du coin... Il me parla aussi de la beauté légendaire des italiennes qui sont à tomber dès lors qu'elle ne prennent pas sur elles de se métamorphoser en mama... Bref le bar était sérieusement entamé lorsque nous vint l'idée d'aller nous coucher. Je ne me souviens plus quelle heure il pouvait être, mais je me souviens m'être dit qu'au réveil ce 12 juillet ne serait peut être plus qu'un souvenir, un mauvais rêve ou quelque chose comme ça...
Dans mon monde, le 12 juillet devait décidément être un jour spécial pour les dieux du foot...