Un long ballon en profondeur arriva sur l’attaquant. Abandonné par ma défense, c’est désormais entre lui et moi. Autour de nous, le temps sembla s’arrêter, et l’action passa en mode ralenti. Je n’entendis plus les cris des spectateurs, ni les encouragements de mes coéquipiers. Je sortais à sa rencontre, tendant les bras pour paraître plus imposant, plus effrayant. Je gardais les yeux rivés sur le ballon, prêt à bondir au moindre détournement de trajectoire. Rester debout le plus longtemps possible. Ne pas montrer le moindre signe de faiblesse.
D’un coup, l’attaquant partit sur ma droite, pour me contourner, m’éliminer. L’affaire semblait entendue, et je commençais déjà à entendre au loin les cris de déception de mes coéquipiers. Dans quelques dixièmes de secondes, l’attaquant n’aura plus qu’à pousser le ballon dans le but vide. Du moins, c’est ce qu’il croit.
Vif comme un singe, je plongeais à terre, captais le ballon dans les pieds de l’attaquant, et le serrais contre moi, sous les acclamations de nos quelques supporters. Ouf, toujours 0-0 ! Je me suis éraflé le genou sur la pelouse synthétique, mais qu’importe, ça valait le coup.
Je dégageais le ballon le plus loin possible, dans l’espoir un peu fou de trouver un de nos attaquants. Mais comme d’habitude, c’est un adversaire qui fut le premier à intervenir de la tête. Aussitôt, l’attaque s’amorça. L’ailier adverse fut trouvé, élimina Alban, et parcourut le boulevard qui le séparait de la surface de réparation. Au centre, l’attaquant attendait. Mais l’ailier fut long à passer son ballon. Tito étant enfin revenu au marquage, l’ailier tenta de finir l’action seul, et je sortis sur lui. Il tenta de m’éliminer avec la grâce d’un hippopotame, mais poussa mal la balle, dont je me saisis facilement en me couchant au sol.
Je ressentis alors une intense douleur au niveau de ma jambe droite. Je fermais les yeux, me mit à crier, et entamait une bataille mentale avec moi-même pour garder le ballon dans mes mains. Ma jambe a craqué sous les crampons de l’ailier, emporté par son élan. A ce moment là , je me demandais pourquoi je n’avais pas mis de protèges-tibias.
Au cours des minutes suivantes, je vis défiler au-dessus de moi les visages inquiets de mes coéquipiers et de mes adversaires. On tenta de me relever, mais ma jambe endommagée ne me retenait plus. Finalement, on m’aida à sortir du terrain et à traverser la foule compacte de lycéens. Une ambulance vint me chercher, et à peine commencée, ma journée se terminait à l’hôpital.
La compétition va se poursuivre dans l’indifférence la plus totale, mais cette blessure aura des conséquences. Pour mes coéquipiers, c’est la fin des espoirs dans ces Jeux Inter-lycées. Jamais ils ne pourront gagner un match dans ce tournoi sans leur gardien qui les a si souvent sauvé. Pour moi, je ne le sais pas encore, mais c’est la fin d’une carrière qui n’aura jamais commencé.