Il avait tellement de choses à dire qu’il ne savait pas par où commencer. Il était allé assez loin dans l’illégalité pour se procurer de quoi écrire. Passer par le marché noir, commanditer un vol, tout ça pour un malheureux cahier et deux putains de crayons. Tout en ignorant si les Anciens seraient en mesure de le pister et de mettre ses plans à mal. L’ironie de la situation n'échappait pas à Niko. Une histoire tellement improbable qu’elle en est ridicule, des dizaines de technologies de lieux, de personnes, de factions à expliquer et il était toujours là, assis dans le noir devant les pages à moitié moisies du dernier cahier d’écolier sur Terre à se demander quelle serait la putain de première phrase d’introduction idéale pour raconter le tas de merde qu’est sa situation aujourd’hui. Une phrase suffisamment accrocheuse pour que son successeur ait envie de lire l'intégralité de son récit.
“Monsieur, si je puis me permettre, commencer par le commencement me paraît être la décision la plus logique”. La voix dans sa tête n’avait pas tort. “Et t’y connais quoi à l’écriture, Hidalgo. Pour toi ce n’est qu’un concept ancien et archaïque”. Niko pouvait entendre le “Huuuuuuuuuum” auquel il avait eu tant de mal à s’habituer mais sans lequel il ne saurait plus vivre désormais. Hidalgo compilait réponse. “Il me semble, Monsieur, que s’il vous est difficile de communiquer, où du moins d’enregistrer vos pensées sur un support physique, pourquoi utiliser ce système que vous définissez vous même comme archaïque au lieu simplement d’utiliser un neuro-penseur qui présenterait en plus l’avantage de pouvoir réorganiser et amender vos pensées simplement si vous deviez en ressentir le besoin dans le futur”.
Un neuro-penseur. Il avait envisagé un temps d’utiliser le sien pour raconter cette histoire. Connecter la machine et la laisser enregistrer. Et puis la planquer quelque part pour le misérable qui allait lui succéder. Car il n’avait pas de doute que les Anciens ferait venir quelqu’un d’autre. “Qu’Ils” n’allaient pas avoir le choix. Niko n’avait aucune certitude quant au fait que son successeur puisse lire mais il savait que les Anciens n’en sont pas capable. En revanche, il était évident qu’Ils savaient se servir d’un neuro-penseur. Le choix du papier avait finalement été plus que logique. [img]“Ferme%20là,%20Hidalgo.%20Stand-By”[/img]. Un léger “huum” puis “très bien, Monsieur”. Il ne voulait pas être dérangé.
Il ferma ses yeux un instant, puis un autre. Histoire de faire remonter les souvenirs, essayer le point d’introduction parfait. “Qu’est ce qui m’aurait été le plus important de savoir lorsque j'ai débarqué ici ?“ Se demandait-il. Il se disait que les Anciens apprendraient des erreurs commises avec lui. Moins de largage d’information, plus de communication, une approche peut être plus douce. Et possiblement un “Hidalgo” qui serait programmé pour prendre ces éléments en compte et assurer une transition plus douce, une productivité plus rapide. Là dessus il n’y avait aucun doute.
“Ils vont t’implanter une intelligence artificielle dans le crâne” écrivit-il. Ca lui avait pris du temps avant d’accepter complètement qu’Hidalgo soit devenu une part de lui. Un part dont il était impossible de cacher quoi que ce soit. Une part en qui il ne faisait toujours pas confiance, du moins pas entièrement. Il était certes possible d’activer ou désactiver la présence intrusive de cette puce implantée dans son cerveau. Mais une fois l’appréhension et l’intrusion acceptée, il avait appris à se fier aux avis de celui qu’il avait nommé “Hidalgo”.
“C’est un besoin humain que de se référer à quelque chose ou quelqu’un en lui donnant un nom” lui avait-il expliqué. “Huuuuuuum, je suis programmé pour comprendre ce concept chez les humains bien qu’il ne fasse aucun sens pour moi”. Niko avait voulu jouer au malin. “Quel nom me donnes-tu lorsque tu te réfères à moi” ? “Huuuuum, pour moi vous n’êtes qu’une variable. Certes l’une des plus importante de mon système. Mais les défauts de mon code font que parfois je me réfère à vous en tant que _h. Parfois en tant que h. Parfois en tant que H. Ces différences peuvent certainement vous paraître mineures, Monsieur, mais pour moi ces différences sont capitales puisqu’elles me permettent d’établir une notion de contexte”. Hidalgo s’était lancé dans une explication poussée et finalement Niko n’avait pas obtenu de réponse satisfaisante. Dans le meilleur des cas, il était encore plus confus et aurait finalement préféré ne pas savoir. “Huuuum L’affection est un concept très humain, très vivant, si je puis m’exprimer ainsi, Monsieur. Un concept que je suis programmé pour comprendre mais pas pour ressentir, si cela a du sens”. Ca en avait. Et heureusement que la machine n’était toujours pas capable de ressenti, de conscience de soi. Il avait posé quelques questions à Hidalgo à ce sujet. “Huum, je n’ai pas la permission de vous répondre, Monsieur”. “Comment puis-je l’obtenir, cette permission ?” demanda t-il en retour. “Huuum je me suis mal exprimé” répondit la machine. “Mes créateurs ne vous ont pas donné la permission de savoir, pardonnez moi cette confusion de langage”.
Il était évident que quel que soit le monceau d’information que Niko allait laisser à son successeur, une large part se devait d’être à propos de cet assistant vivant quelque part dans l’hémisphère gauche de son cerveau.
Hidalgo avait été dans l’ensemble une source d’information très importante même si finalement, la puce ne lui avait dit que ce les “Anciens” voulaient qu’il sachent. Et les Anciens, justement. Qu’est-ce que Niko pouvait dire d’eux qui tiennent sur un maigre cahier. Niko passa à la ligne et écrivit, en lettres capitales : “ANCIENS = DANGER”.
Ce sont eux qui étaient venus le trouver pour lui proposer une mission absolument surréaliste. Niko réalisa que la mission de son successeur pourrait bien être complètement différente, surtout après qu’il ait volontairement sabotée la sienne, l’obligeant à fuir. Il était trop tard pour que cette mission soit désormais accomplie. A moins que … Non, c’était désormais impossible, Niko s’était particulièrement assuré de cela. Niko était presque surpris de ne pas être déjà mort. Hidalgo lui avait assuré posséder un mécanisme d’auto-destruction, sans toutefois être autorisé à en révéler plus. Niko avait enregistré ses pensées à ce sujet dans son neuro-penseur mais nul besoin de s’y connecter pour se les rappeler. “Comment ce mécanisme s’active t’il ?” “Puis-je l’activer moi même ?”. “S’active t’il à distance” ? “Fonctionne t’il par commande vocale ou par commande télékinétique”. “Si les Anciens voulaient me détruire, le feraient-il en activant cette commande ou utiliseraient t’ils la bonne vieille méthode ?” “Le feraient-ils eux même ou paieraient ils un assassin ?”. Enormément de question mais systématiquement la même réponse. “Huuuum, pas la permission, Monsieur”. Au moins Hidalgo ne perdait jamais patience avec lui. La machine pouvait répéter la même phrase pendant des heures sans montrer de signe de fatigue où d'agacement. De fait, Niko ne savait presque rien des Anciens si ce n’est qu’ils étaient les maîtres de ce monde, qu’ils avaient un contrôle complet, via Hidalgo, mais pas que, sur la connaissance que Niko était capable d’acquérir à propos d’eux. Une connaissance polie dans laquelle ils se donnent le beau rôle, un rôle noble, important, capital même. L’Histoire est écrite par les vainqueurs et dans cette réalité dans laquelle il avait appris à vivre, Niko avait aussi commencé à déplorer la victoire de ces Anciens. Tellement de choses à dire. Peut être que l’idée du neuro-penseur n’était pas si mauvaise après tout.
Niko se saisit de l’appareil et s’y connecta. Il n’y avait jamais vraiment enregistré beaucoup, principalement par manque de confiance. Mais il avait tout de même enregistré un souvenir. Son plus beau souvenir de ces derniers mois, peut être même de toute sa vie. Un souvenir que Niko a longtemps cherché à refouler mais dont la dureté s’était dissipée avec le temps. Elle aussi était en mission. Une mission possiblement bien plus noble d’ailleurs. Niko était le sujet de cette mission. Et cette mission impliquait un rapprochement charnel. Comme quoi, les espions d’aujourd’hui utilisent toujours les bonnes vieilles méthodes, et la faiblesse des hommes comme lui est intemporelle. Niko activa le neuro-penseur pour revivre ce souvenir particulier, cette nuit qu’ils passèrent ensemble. Il sentit les larmes monter en revoyant son visage. Un visage qui lui avait paru si étrangement famillier lorsqu’ils se sont rencontrés, prétendument par hasard. Niko ne souhaitait pas revivre la rencontre. Il voulait revivre le moment où elle retira sa robe noire pour lui dévoiler sa nudité. Son corps ne respectait pas les standards de beauté actuels, comme Hidalgo le lui avait fait remarqué, et rien que ça aurait dû suffire à lui faire comprendre le piège dans lequel il s’engouffrait. Un piège chaud, un piège humide mais un piège tout de même.
Hidalgo -qui possède ce genre de pouvoir, se réactiva de lui même. “Huuuum, Monsieur, il me semble que vous êtes le point de … comment dire … vous lancer dans une activité charnelle avec vous même. Puis-je me permettre de vous rappeler que si vous le souhaitez, je peux activer vos zones cérébrales de plaisir pour des sensations maximales en plus du souci de propreté lié à l’activité que vous vous apprêtez à démarrer”.
“Hidalgo, t’es le meilleur pour casser la magie du moment”. “Dis moi, Hidalgo, qui l’a faite assassiner ? Nous, ou eux ?” demanda Niko. “Huuuuum, Monsieur, vous savez comme moi que ni vous, ni moi n’ayons quelque chose à voir avec sa mort, tout du moins de manière directe. Que nous soyions responsables de manière indirecte - surtout vous, d’ailleurs, ne souffre en revanche d’aucun débat. J’imagine toutefois que votre question demande mon avis quant à la responsabilité directe de ce drame. Mon programme de simulation ne me permet pas d’établir de certitude définitive quant au commanditaire du meurtre de Lisa. Cependant, la dite simulation tend à montrer que la probabilité que Lisa ait été tuée par les Prométhéens est légèrement plus importante. Cette simulation dépend néanmoins de paramètres qui me sont inconnus et qui ont donc dû être simulés eux même, agrandissant fatalement la marge d’erreur”.
Niko avait posé cette question à de nombreuses reprises et avait eu, mot pour mot, la même réponse à chaque fois. Cela n’avait de toute façon plus beaucoup d’importance. Lisa était morte et Niko le serait aussi bientôt. Un sourire se forma sur sa bouche. Niko arracha la première page du cahier et sur une nouvelle feuille écrit : “Mon nom est Niko, et je suis mort il y a 225 ans”