Date inconnue, Minsk ( Belarus ) :
Note du docteur Bronowski : Ce texte fait partie des mémoires de Mr. Stanislav Kanteev, retrouvées dans son petit carnet personnel de nombreuses années après. Il a été placé ici car il apparaît utile dans le cadre de l'étude concernant le sujet n°1437.
Cantona a écrit :
La voiture entame un dernier virage, laissant ainsi apparaître le bâtiment à une centaine de mètres, baigné par une lumière presque artificielle. A cette époque de l'année, Minsk est rarement arrosée par le soleil, surement un signe que cette journée ne sera pas comme les autres.
Je ne me suis encore jamais rendu dans cet immeuble, mais le connais déjà par cœur. Le parking est à une vingtaine de mètres de l'entrée, la seule issue facilement accessible. Quatre marches de béton mènent à la porte vitrée par laquelle trois hommes peuvent passer de face. Une serrure simple, puis le hall. Vingt pas vers l'ascenseur dont la cage fait face au domicile de la concierge. Trois étages et un couloir mal éclairé par le seul néon encore en état.
Ce chemin, nous l'avons répété des dizaines de fois grâce à des photos, des plans et des decriptions, mais je ne peux m'empêcher d'être un peu nerveux, ou impatient, je ne sais plus trop.
A l'arrière, les gars sont installés dans leur routine. Dimitri est prêt, à sa façon. Il pointe de l'index Alexii, le pouce levé, puis le baisse deux fois, mimant le bruit d'une détonation, son visage fendu d'un large sourire.
« Putain, mais t'es vraiment un malade, toi! Refais jamais ça! »
La protestation d'Alexii entraine chez Dimitri un éclat de rire franc, comme un gamin qui vient de réussir sa blague. Ce genre de geste n'est jamais anodin pour eux, rempli de sens. Je ne m'inquiète évidemment pas, ils seront prêts.
Andrei, lui, est différent. Depuis que nous avons quitté l'hôtel, il s'est muré dans un silence quasi-religieux. Son automatique est posé sur ses genoux, recouvert d'un chiffon fin bleu. Il l'a entièrement démonté, et a nettoyé chacune des pièces avec la minutie d'un horloger.
Alexii l'observe, polissant maintenant la crosse avec toujours autant d'attention.
« Toi aussi t'es malade. C'est la troisième fois que tu astiques ton flingue. »
« Écoute petit, un artiste prend soin de ses outils. Tu crois que Canaletto peignait avec une brosse à chiottes? »
« Merde, mais vous êtes vraiment tous tarés! Ma mère avait raison, j'aurais dû reprendre la quincaillerie familiale à St Petersbourg. »
Les quatre autres passagers partagent un nouvel éclat de rire, avant que Marek ne gare le 4x4 à quelques mètres de l'immeuble. Comme prévu, il nous attendra là .
Dimitri et Alexii échangent encore quelques piques, puis se transforment une fois sortis du véhicule. Andrei prend la tête du cortège et ouvre avec la clé reproduite la veille. 20 pas, 3 étages, et enfin ce couloir mal éclairé. Apparemment le ton est monté à l'intérieur de l'appartement. D'après Ivan, 2 personnes plus Maric et un autre homme qui ne semble pas être ici de son plein gré.
Dimitri pose sa main sur la poignée et cherche dans mon regard une approbation. Un frisson me parcoure l'échine, comme au début, voilà les sensations que je recherchais tant depuis un moment. J'acquiesce d'un mouvement de tête, signe que je suis prêt à entrer dans l'arène, mon rythme cardiaque ayant désormais atteint un pic.
Je suis le second à franchir le palier, suivi d'Andrei. Évidemment Maric ne s'attend pas à me voir ici, lui qui pensait être planqué et à l'abri à Minsk. Les deux hommes sont ses cerbères, trahis par leur premier réflexe. Leurs doigts ont bien atteints la crosse de leur pistolet, mais trop tard pour prendre le contrôle de la situation.
Chacun d'eux est déjà tenu en joue, acceptant facilement d'être désarmé. Maric, abasourdi par ce qui se déroule sous ses yeux, n'a pas articulé un mot.
Le quatrième larron doit être en train de bénir ce renversement. Il est ficelé sur une chaise en bois, les mains dans le dos et le visage fortement tuméfié. Ses lèvres n'ont pas résisté longtemps aux assauts des deux brutes, et j'imagine que Maric a du également se tailler la part du lion.
« Bonjour Maric, j'espère que je n'interromps pas une belle réunion de famille. »
« M.Kanteev? »
« Tu ne me reconnais plus? Allez présente moi donc à ton ami. »
« Mais, enfin... »
« Enfin quoi? Tu te pensais planqué en Biélorussie. Pour quelques euros, tout le monde était prêt à te balancer, tu sais. »
Maric a déjà analysé la situation, il se sait acculé, et telle une bête blessée, il va tenter un dernier baroud d'honneur. Il se précipite vers la porte encore ouverte, se frayant un chemin entre son prisonnier et moi. Mais l'homme ligoté semble bien décidé à mettre son bourreau devant ses responsabilités.
Lorsque Maric passe à ses côtés, il se jette sur la droite entrainant avec lui la chaise à laquelle il est attachée. La secousse suffit à déstabiliser le fuyard, qui s'étale de tout son long devant Dimitri. Immédiatement, il décide de changer de tactique, essayant par n'importe quel moyen de s'en sortir.
« M.Kanteev, je ne savais vraiment pas que ce club vous appartenez. »
« Tu sais donc de quoi je suis venu te parler. »
« Mais, enfin, je pensais qu'il appartenait à un des ploucs du coin. Si j'avais su qu'il était à vous. »
« Tu veux que je te dise Maric? Je crois plutôt que tu savais très bien ce que tu faisais. Je crois même que tu avais l'intention de venir prendre mon business ici. Seulement tu ... »
« Non, attendez ce n'est pas ça, c'est que... »
« Tais toi. Je disais que ton problème fut la confiance que tu pensais pouvoir porter à tes collaborateurs. Pour quelques centaines d'euros, celui que tu avais engagé pour faire brûler la discothèque, s'est mis aux aveux. Il nous a gentiment expliqué qu'il avait rencontré son commanditaire à Berlin. Le lien fut rapide à établir. »
Petit à petit, le visage de Maric se décompose. A ce moment là , je me rappelle une fable française qu'aimait me conter la gouvernante engagée par mes parents. L'histoire d'une grenouille qui tenta de devenir plus grosse qu'un bœuf et qui finit par éclater. Voilà ce qui attendait l'homme à genoux devant moi.
Andrei vient de terminer de visser un silencieux sur son automatique, et s'approche de moi. Il sait exactement ce que je vais lui demander de faire, habitué à ce genre de besogne.
« Qu'est ce que l'on fait du type par terre? »
Je réfléchis un instant, j'en avais presque oublié le prisonnier de Maric.
« Détachez Monsieur, il va m'accompagner. »
Après avoir trancher les liens, Andrei aide l'homme à se redresser, lui adresse son plus beau sourire et lui indique la sortie. Je l'accompagne et referme la porte derrière nous, adressant avant de partir un signe de la tête à mes hommes. D'ici quelques instants, ils en auront terminé et s'occuperont de nettoyer le tout.
Le type à mes côtés n'a pas l'air troublé par la situation, mais son pas est lourd, fatigué. Maric a dû lui faire son numéro, baffes et coups en tout genre. Il ne m'a pas encore adressé un regard, se contentant d'avancer à travers ce couloir. Andrei a tout de même pris la précaution de lui laisser les mains attachées dans le dos, même si j'ai tendance à croire que les ennemis de Maric sont mes amis.
Arrivé dehors, il s'arrête un instant, reprendre une bouffée d'air et semble revivre. D'après mon informateur, Maric et sa petite troupe aurait investi l'appartement il y a trois jours. Trois jours pour lui sans voir la lumière du jour, et certainement sans manger. Mais il ne ressemble pas aux personnes que Maric aime emmerder. Pas loin d'un mètre quatre vingt dix, et une gueule déjà marquée avant l'intervention récente de mon ex-collaborateur.
Il est temps d'en savoir plus. D'un coup de pied, je le contrains à s'agenouiller, coup imparable lorsqu'il est inattendu. Dans l'instant qui suit, je dégaine mon Baghira et le pointe sur sa tempe. 10 balles de 9mm dans le chargeur, fabrication russe, évidemment. Une précision plus que raisonnable, mais de toute façon à cette distance comme aime à le dire Andrei, même une Remington aurait fait l'affaire.
Puisqu'il était l'hôte de l'autre porc, il doit certainement parler allemand, ou du moins le comprendre. Pour être sûr d'avoir un contrôle complet sur lui, je me prépare. La balle rentre dans la chambre avec ce son si particulier, venant se loger à l'entrée du canon.
« Qui est tu? »
« Ryszard. J'étais le coach de l'équipe de Maric à Berlin. Mais sortez ce truc de devant ma tronche. »
« Jusque là c'est moi qui ordonne. Bon et si tu étais son coach, qu'est ce qui t'as amené à Minsk? »
« Quelques différends avec ce mec. »
« Il va te falloir être plus bavard si tu veux pas que je te fasse sauter le caisson. »
« Vous avez la gâchette facile dans cette région. Puis pour tout vous dire, je m'en cogne, j'ai plus rien à perdre ... Mais si ça peut vous soulager, je vais vous raconter. »
Toujours attaché, il se gratte la joue de l'épaule, certainement gêné par le sang coagulé sur son visage. Puis pour la première fois, il se met à me fixer. Parce que je sais trop bien que rien n'est normal dans ce milieu, je continue de le braquer.
« Une amie à moi, une très bonne amie, avait découvert des trucs pas bien jolis sur Maric. Le genre de choses dont un homme qui veut rester crédible à tout intérêt à cacher. Puis il s'est arrangé pour buter cette fille mais n'a toujours pas mis la main sur la copie du dossier... »
« Et évidemment tu en possèdes une. Alors Maric s'apprêtait à te descendre aussi. Ah ah, je lui avais pourtant dis que son goût immodéré pour les coups de fouets lui causerait des problèmes. »
Je ne peux m'empêcher de rire. Maric avait compris que l'Allemagne commençait à sentir mauvais pour lui, et préparait donc un plan de retraite en Biélorussie. Terminé pour lui, et voilà que je me retrouve avec celui qui l'a envoyé à l'abattoir. Vu sa propension à faire chanter les gros poissons, j'ai tout intérêt à me méfier de lui.
Bang, bang. Deux coups de feux sont partis. Et merde. Le type est toujours à genoux devant moi et n'a même pas cligné des yeux lorsque les détonations ont retentis.
« Déjà connu ça? »
« Par le passé, ouais. »
Nous nous fixons quelques instants en silence. La porte d'entrée s'ouvre, laissant apparaître Maric tentant de s'enfuir à toute jambes. Il ne s'attendait évidemment pas à nous voir à quelques mètres et pour la première fois depuis que nous sommes sortis, je cesse de pointer le prénommé Ryszard. Il s'arrête en bas des marches, et me fixe, la peur se mélangeant à l'incrédulité dans ses yeux. Il n'est plus qu'à 10 mètres. La balle devrait donc atteindre son os frontal en un centième de seconde, le perforant très certainement.
« Mal calculé Maric, une seule issue ici. »
Cette fois le coup de feu vient bien de mon arme. Heureux de voir que je n'ai rien perdu de ma précision d'antan. L'odeur agréable de la poudre vient chatouiller mes narines, réveillant chez moi de vieux souvenirs passés, comme chez certains le fumet délicat des plats mijotés jadis par leur grand-mère. Maric s'écroule subitement, les yeux grands ouverts, la surprise toujours affichée sur son visage.
Derrière lui arrive Dimitri, l'arme au poing.
« Désolé M.Kanteev, ses deux colosses se sont démerdés pour lui laisser le temps de s'enfuir. »
« Je vous paye pour que ça n'arrive pas. Faites chier. »
Les deux autres ne devraient pas tarder à arriver. Avec toutes ces détonations le voisinage va bientôt s'alarmer et il va nous falloir quitter les lieux rapidement. Je me dirige vers Ryszard, maintenant que Maric est out, il va bien me falloir trouver quoi faire de lui.
« Allez debout. »
Sans ajouter un mot, il se redresse et m'emboite le pas. L'amateurisme de mes employés m'énerve passablement, même si le fait de reprendre du service fut presque jouissif. Je garde tout de même le silence alors que le 4x4 quitte la résidence. Ryszard se contente de fixer le paysage défilant à travers les vitres teintés.
« Vous étiez un bon entraîneur? »
Certainement surpris par ma question, il prend son temps pour répondre.
« Plus ou moins. »
« J'imagine donc que vu votre situation actuelle, vous ne refuserez pas un poste en Russie? »
« Pourquoi pas. »
Je crois que la personnalité de ce type m'a poussé à lui proposer ce poste. Il a l'air un peu taré, et se fout de tout. Exactement ce qu'il me fallait.