Chapitre 39
Sur un siège éjectable
Sept heures et trente minutes, la radio se met en route. Et c'est sur un son qui a plus de dix ans que je me réveille tranquillement. Les Black Eye Peas avec Justin Timberlake chantant « Where is the love ». L'air me jette rapidement en arrière dans le temps et une multitude de souvenirs agréables refont surface... L'espace d'un instant, j'ai l'impression que le temps s'arrête... Je suis seul avec mes pensées... Il me faut une poignée de minutes pour revenir à la réalité. Comme à mon habitude, j'enchaîne avec une douche et un café noir avant de prendre la direction du Milanello. Moins d'une heure après mon réveil, je coupe le contact de mon 4x4 allemand et me dirige vers le hall d'entrée du centre d'entraînement. Comme tous les jours, j'ai une réunion prévue avec mon staff à huit heures trente pour programmer les deux séances de la journée et les autres activités des joueurs.
A neuf heures précises, les joueurs commencent leur échauffement. Je n'ai jamais aimé les retards et je ne les accepte que s'ils sont justement justifiés. Les joueurs le savent et respectent cette règle simple. Après quelques étirements surveillé avec attention par Daniele Tognaccini, les joueurs passent au premier exercice du jour. L'objectif de celui-ci est de consolider nos enchaînements offensifs et travailler notre capacité à conclure. Mauro, Filippo et moi montrons aux joueurs ce que nous attendons d'eux. Moutinho, Orellana et Ibrahimovic se lancent les premiers...
Alors que j'observe, avec les autres membres du staff, le travail des joueurs, Carl Eaton et plusieurs de ses collaborateurs font leur apparition sur le bord du terrain. La visite surprise m'interpelle et je décide poliment d'aller saluer mon nouveau patron. C'est la première fois depuis que je suis à Milan qu'un dirigeant apparaît lors d'un entraînement. A Porto, la pratique était quasi hebdomadaire mais ici, je n'y suis pas habitué. Peut-être une manière de marquer la différence avec l'ancien pouvoir en action.
-Monsieur Eaton. Bonjour.
-Bonjour monsieur Villas-Boas. Je vous présente quelques-uns de mes collaborateurs. Ils feront partie de la structure dirigeante du club.
-Enchanté et bienvenue.
-Comment se passe l'entraînement ?
-Très bien, merci. Nous avons deux séances programmées pour aujourd'hui avec des objectifs précis. Les joueurs sont très réceptifs.
-Tant mieux.
-Personnellement, comment vous sentez-vous ?
-Plutôt bien. Pourquoi cette question.
-Je désire simplement savoir comment les employés de mon entreprise se sentent.
-C'est gentil de votre part.
-Et comment voyez-vous notre prochain match face à Naples ?
-L'adversaire est de qualité. Individuellement, ils ont des joueurs capables de faire la différence mais je crois que leur principal force est dans leur collectif. Rajouté à cela un stade qui sera nous mettre la pression. Il faudra être très concentrer durant les quatre-vingt-dix minutes et savoir profiter de la faiblesse défensive qu'offre leur système de jeu avec trois défenseurs.
-Je compte sur vous pour y arriver.
-Merci mais ce sont les joueurs qui seront sur le terrain. Je ne peux que leur donner des outils pour qu'ils soient dans les meilleures conditions pour y arriver.
-C'est juste... Mais vous savez que l'entraîneur est le premier a trinqué en cas de mauvais résultat.
-Je connais mon métier, monsieur.
-Je le sais... Vous comprendrez que nous désirons le meilleur pour ce club. Notre objectif est de remonter l'AC Milan au top du football européen. Et pour cela, seul les victoires et les trophées comptent... En analysant la saison en cours, nous avons noté votre victoire en supercoupe. Elle nous réjouit mais vous comprendrez que ce n'est pas suffisant. L'équipe a eu un comportement plus que médiocre en Europa League, ce qui n'a pas valorisé notre image externe. De plus, il faut ajouter l'élimination précoce en coupe. Et puis notre retard en championnat...
-Excusez-moi de vous interrompre mais nous avions un plan sur deux saisons avec votre prédécesseur. L'élimination en coupe a été une réelle déception. Je ne peux pas en dire autant pour l'Europa League. Et pour conclure, nous sommes toujours en course pour le titre. C'est l'objectif le plus important. Les joueurs et le staff en est conscient et nous travaillons de manière très professionnelle pour atteindre le titre.
-Je ne remets pas en doute vos compétences ni votre travail. Nous examinons simplement les résultats et nous en déduisons qu'ils sont en dessous de nos attentes. Nous voulions attirer votre attention sur ce point.
-Je comprend... Dois-je en déduire que mon poste est en cause ?
-Pas pour le moment. L'équipe a progressé sous votre tutelle et nous croyons en vos compétences pour finir la saison. Ensuite, nous examinerons toutes les options qui se présenteront.
-Très bien. Si vous en avez terminé, mes joueurs m'attendent.
-Nous en avons terminé. Bonne journée.
Ce bref échange m'a permis de voir plus clair dans le jeu de la nouvelle direction. Je n'ai pas leur confiance et mes résultats dicteront ma continuation à la tête du club. Ce sont surtout les titres qui dicteront mon éviction ou ma manutention.
Le reste de la journée se passe dans la routine la plus tranquille. Après la séance du matin, le groupe déjeune ensemble dans le complexe du club. S'en suit une marche dans la forêt et une sieste avant la séance de l'après-midi. Il est vingt heures et trente minutes quand je remonte dans mon 4x4 allemand pour quitter le Milanello en direction de ma luxueuse villa.
Vingt minutes plus tard, je suis au pied de l'imposant portail. La villa que je loue depuis le mois de novembre, est un modèle d'exception. Construite en pierre, elle totalise 350m² habitable avec un jardin de 4.200m². Une piscine chauffée, une cuisine d'été, deux garages, une salle de jeux, quatre chambres, quatre salles-de-bain, un salon, une salle à manger, une cuisine américaine et une énorme entrée compose les pièces principales de la demeure. Ajouté à cela quelques dressings et un bureau pour compléter le tout. Tout ceci finement décoré par un architecte italien de renommée. Je m'y sent d'ailleurs très bien. Même si elle est grande, cette maison est accueillante et je m'y sent comme dans un cocon. Filomena et Mario m'y aident grandement. Ils sont les gardiens de la propriété. Mario s'occupe de l'entretien et de la manutention tandis que Filomena se charge des tâches ménagères.
Comme chaque soir à mon arrivée, la maison est propre et fraîche. Mon courrier est déposé à l'entrée et un repas m'attend dans le réfrigérateur, prêt à être réchauffé. Filomena est une excellente cuisinière. Chaque jour, elle me prépare une de ses nombreuses spécialités. Je n'ai plus qu'à réchauffer et consommer. Parfois, elle me fait penser à Maria, notre maîtresse de maison lorsque j'étais plus jeune. Attentionnée et ne laissant rien au hasard, tout paraîssait toujours parfait. Une chose est sûre, ils contribuent grandement à mon épanouissement en Italie.
Alors je t'attend mon plat qui réchauffe au micro-onde, une nouvelle vient me perturber dans mon dîner...
-... Leonardo serait-il de retour au Milan AC ? Le nom de l'ancien joueur et entraîneur des rossoneries referait surface pour substituer l'actuel entraîneur en place, André Villas-Boas. L'entraîneur portugais ne serait plus en odeur de sainteté du côté de la nouvelle direction. Les résultats moyens en Europa League et l'élimination de la coupe d'Italie n'auraient pas bien été digérés par les nouveaux propriétaires du club. Du coup, le nom du brésilien apparaîtrait comme une sérieuse alternative en cas de licenciement de l'entraîneur en place. Leonardo présente l'avantage de bien connaître le club et de jouir d'une bonne réputation dans le milieu du foot...
Autant dire que l'excellente lasagne aux légumes de Filomena ne va pas avoir le même goût que d'habitude. L'information qui vient de tomber me tracasse. Ajouté à cela, le discours de ce matin de Carl Eaton et je pense avoir toutes les raisons de croire que je ne suis pas l'homme de la situation pour la nouvelle direction. Néanmoins, je suis un professionnel et je tiens à réussir tant que je serais à la tête de cette équipe. Je vais travailler au jour le jour sans me soucier dans rumeurs. Prochaine étape. Naples.
Le match me paraît être le parfait piège. Un stade bouillant, un adversaire motivé et une certaine nervosité dû aux rumeurs qui circulent. Je demande aux joueurs de rester concentré sur le match et l'objectif de ce dernier. Prendre les trois points. Rapidement, les napolitains nous prennent à la gorge. Nous reculons, nous subissons mais nous ne fléchissons pas. Le bloc est bas mais compact, ce qui nous permet de bien défendre. Néanmoins, pour prendre les trois points, il faut faire plus. Je demande aux joueurs de conserver le ballon en construisant lentement vers l'avant. Ainsi nous casserons le rythme de l'adversaire et, avec un peu de chance, ils s'endormiront sur un faux rythme. La stratégie ne fonctionne que moyennement car, à la mi-temps, nous rentrons aux vestiaires sur un score nul et vierge. Durant la pause, j'opère mon premier changement en laissant Ibra aux vestiaires et en faisant entrer Pato. Sa mobilité et sa technique pourront faire la différence. La deuxième mi-temps reprend sur un rythme plus soutenu de notre part. Nous multiplions les occasions mais le ballon n'entre pas et nous perdons de notre fougue avec le temps. A l'heure de jeu, j'effectue mon deuxième changement en changeant également notre système de jeu. Flamini remplace Orellana et nous passons dans un 4-4-2 avec Robinho et Pato en pointe. Nous reprenons le dessus mais le ballon ne rentre toujours pas. A la quatre-vingt-deuxième, Moutinho lance plein axe Pato qui prend les défenseurs de vitesse. Le brésilien n'est pas hors-jeu. Il part et trompe le portier napolitain. 0-1 ! Je sursaute et me retourne les points serrés en criant « Gooolllloooooo ! ». J'évacue ainsi tout le stress de ce match. Dans la foulée, je sors Robinho pour Bonera. Le score n'évoluera plus. L'objectif est atteint.
La semaine suivante, nous enchaînons par une nouvelle victoire à l'extérieur. Notre victime est Catania. La victoire est nette et sans bavure. 0-3 ! Les rumeurs continuent de faire parler les mauvaises langues. De mon côté, je suis concentré sur un seul objectif, le titre de champion d'Italie...