Chapitre 1
La Rencontre
Porto, le 17 Octobre 1977.
Neuf mois que mes parents m'attendent. Aujourd'hui est le jour « J ». J'essaie de sortir tant bien que mal. La lumière se fait de plus en plus forte, la chaleur diminue de plus en plus. Je n'arrive plus à ouvrir les yeux, la lumière m'aveugle. Je sent quelque chose que me tire de mon habitat naturel, La tête, les épaules, puis tout le reste. Les odeurs, les voix ne me disent rien tandis que je n'arrive toujours pas à ouvrir les yeux. Je hurle de toutes mes forces pour appeler mes parents.
Ca y est, je reconnais son odeur, sa voix, son rire et sa douceur. C'est ma mère. Elle me prend dans ses bras. J'y suis bien.
« Luis André, Luis André... Bemvindo filho... E ruivo... »
C'était la première fois que j'entendais si bien ma mère parler. Le son était clair et proche. Mais rapidement j'entends d'autres voix dont une qui m'est familière. Elle aussi, je la connais bien. Je l'entendais souvent mais jamais de manière aussi proche, aussi distincte.
« Luis André, meu filho... »
C'est mon père, je le reconnais. Je n'ai maintenant plus rien à craindre. Ils sont là pour me protéger.
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« O ruivo » (Le rouquin), c'est le jour de ma naissance que j'ai pour la première fois entendu ce mot. Il sortait à l'époque de la bouche de ma mère. Depuis, il revient souvent et est devenu mon image de marque, mon surnom. Un portugais rouquin, c'est plutôt rare. Alors forcément, ça devient un signe distinctif. Mais comme chaque chose a une explication, ma rousseur n'échappe pas à cette règle. Je viens d'une noble famille de baron où mon grand-père a choisi pour femme une belle anglaise, Margaret Neville Kendall. J'en déduis que ma rousseur fait partie de mon côté anglais. Ce n'est d'ailleurs pas le seul héritage culturel que ma grand-mère m'ait laissé. Elle m'a également appris l'anglais, dès mon plus jeune âge, dans la plus pure tradition anglo saxonne. C'est aujourd'hui l'une des raisons de mon excellent niveau d'anglais.
Mon deuxième signe distinctif, c'est ma passion pour le football. Au premier abord, rien de très particuliers. Le football est une espèce de religion au Portugal où 90% des hommes sont croyants et pratiquants. Mais moi, ce que j'aime, ce sont les statistiques, les analyses, les tactiques. Je porte un regard sur le foot comme aucun autre adolescent de mon âge. A 15 ans, mes copains pensent plutôt à imiter les exploits de Paulo Futre ou Fernando Gomes. Moi, je rêve de devenir un Artur Jorge ou un Sven Goran Eriksson. Mes heures creuses, je les passe sur Championship Manager, une simulation d'entraîneur. Mes potes ne comprennent pas l'intérêt démesuré que je porte à ce jeu. J'y vois un moyen de mettre mes idées en application et d'alimenter mon souhait d'un jour diriger une équipe depuis un banc de touche.
Et quand ce n'est pas devant mon écran que je vis ma passion, c'est dans le stade que j'analyse les matchs. Mon père a l'habitude de m'emmener avec lui au « Estadio das Antas » pour voir les matchs du club dont nous sommes supporters, le FC Porto. Chaque rencontre est pour moi un moment particuliers. Muni de mon bloc note, je regarde le match en analysant chaque détail. La mise en place tactique, le rendement des joueurs, les changements et améliorations possibles. Je décortique chaque phase de jeu et prend des notes précises. Mon père n'est même plus interpellé par ma manière d'agir. Il connaît ma passion et ne désire qu'une chose, que je réussisse. Alors, de son côté, il laisse place à ses émotions. Ce qui ne veut pas dire que je n'en n'ai pas non plus, des émotions. Je suis également un fervent supporter de mon club. Mais j'aime, au dessus de tout, analyser tous les faits de match et en tirer des enseignements pour les prochains.
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Comme tous les matins, je me prépare pour partir au lycée. Sac à dos sur les épaules, je quitte toujours mon domicile à la même heure, huit heures. J'en ai pour vingt à vint-cinq minutes de marche. Mon bloc note m'accompagne toujours et souvent, je suis perdu dans mes pensées. Des pensées qui, de manière invariable, sont tournées vers le ballon rond. Et ce matin n'échappe pas à la règle.
Sir Bobby Robson est depuis quelques semaines le nouvel entraineur du FC Porto. Les choses devraient changer avec son arrivé. Nous avons laissé filer le titre l'année dernière mais j'espère que nous allons le récupérer avec sa venue. Il a déjà réussi de beaux parcours avec ses clubs précédents, le PSV et le Sporting notamment. Donc il y a avec lui, le moyen de réussir quelque chose. Mais pour en revenir à mes pensées matinales, des rumeurs circulent depuis deux jours sur la possibilité qu'il emménage dans le quartier. Depuis que j'ai entendu ce ragot, je m'imagine le croiser et lui faire part de mes analyses. Devant mon bol de céréales, j'imagine la conversation...
« Luis André ! Tu vas être en retard ce matin. »
Maria a raison. A force de rêver éveillé, je vais être en retard. Il faudra que j'accélère le pas sur le chemin. J'enfile ma veste, prend mon sac et mon bloc note. C'est parti...
« Merci Maria. A tout à l'heure. »
« De rien, petit rêveur. Bonne journée. »
Maria est notre employé de maison. Je l'ai toujours connu et je la considère comme ma deuxième mère. Ca fait vingt ans qu'elle travaille pour mes parents. C'est comme si elle faisait partie de la famille. Maria est le stéréotype de l'employé de maison. Âgée de la cinquantaine, elle doit faire entre un mètre cinquante et un mètre cinquante cinq, pèse dans les 70 kilos et porte toujours un tablier sur elle. Mais au delà de l'apparence, ce sont ces compétences qui font qu'elle est très appréciée par la famille. Travailleuse sans relâche, elle tient la maison de main de maître. Tout est toujours impeccable. De plus, elle possède cette gentillesse et cette douceur qui la rendent si attachante.
Alors que Maria me salue de l'autre côté de la porte, j'attends que l'ascenseur desserve mon étage. Nous habitons au quatrième d'un immeuble composé de sept paliers. Il est huit heures et dix minutes. Chaque seconde d'attente me paraît une éternité. Enfin le voilà . Je tape avec la main droite sur le bouton du rez-de-chaussé tout en saluant Maria de la main gauche.
« Je vais être en retard... Je vais être en retard... Et mince, en plus je m'arrête au troisième. J'espère que je ne vais pas faire tous les étages un par un. »
La porte de l'ascenseur s'ouvre. En face de moi, un homme se situant entre la fin de la cinquantaine et le début de la soixantaine années se prépare à rentrer. Il est d'une taille et d'une corpulence normale, habillé d'un costume croisé et d'une cravate.
« Bom dia » me lance-t-il avec un fort accent de je ne sais où. Je ne l'ai jamais croisé dans l'immeuble mais son visage me dit quelque chose.
« Ola, bom dia »
Il entre dans l'ascenseur, se retourne et appuie, lui aussi sur le bouton du rez-de-chaussé. En quelques secondes, j'ai comme un flash. Cette personne, je la connais. La rumeur était bien vrai.
« Sir Bobby Robson ? »
« Oui ? »
« C'est un plaisir de vous croisez ici. Soyez le bienvenu dans notre ville. J'espère que vous vous y plairez. » lui dis-je dans mon anglais parfait. C'est d'ailleurs à ce moment là que j'ai une forte pensée pour ma grand-mère et ses cours d'anglais.
« Merci jeune homme. J'ai une très bonne première impression. Je crois que je vais me plaire ici. »
« Vous avez emménagé dans l'immeuble ? »
« Hier dans la soirée. »
« Alors, soyez également le bienvenu. Et si vous avez besoin de quelque chose, n'hésitez pas. J'habite au quatrième. Je m'appelle Luis André. Vous pouvez m'appeler André. »
« Merci jeune homme, c'est très gentil. Mais dis moi, d'où te viens cet anglais si parfait ? »
« De ma grand-mère qui est anglaise. »
C'est à ce moment là que l'ascenseur est arrivé au rez-de-chaussé.
« Je suis obligé de vous laisser car je suis en retard. Je vous souhaite une bonne journée et à bientôt. »
C'est avec un large sourire que je me lance dans une course sans relâche jusqu'à mon lycée tout en repassant chaque seconde, chaque image de ma rencontre avec le grand Bobby Robson. Mais ce qui me rend le plus heureux, est que cette rencontre est sûrement la première d'une grande série...